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Harcelé dans un lycée du Pays basque en 2000, Alexandre a subi des « olives ». Pour ses bourreaux, c’était une blague potache. Son traumatisme est indélébile. À 40 ans, il a déposé plainte pour viols, en août dernier

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es mots sont importants. Il a fallu vingt-trois ans à Alexandre (1) pour dire le bon. « C’est sorti au détour d’une conversation amicale. Je l’ai lâché comme ça : « Je me suis fait violer. » On m’a répondu : “ça va, tu t’es juste pris une olive”.  » Un doigt dans les fesses. Pour certains, aujourd’hui encore, une simple blague de vestiaire. Un crime, aux yeux de la loi (lire par ailleurs).

Encore fallait-il le savoir. Trouver le courage de parler. « J’ai fait ma vie. Tout affronté. Aujourd’hui, plus rien ne me fait peur. » À 40 ans, Alexandre a dé...

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es mots sont importants. Il a fallu vingt-trois ans à Alexandre (1) pour dire le bon. « C’est sorti au détour d’une conversation amicale. Je l’ai lâché comme ça : « Je me suis fait violer. » On m’a répondu : “ça va, tu t’es juste pris une olive”.  » Un doigt dans les fesses. Pour certains, aujourd’hui encore, une simple blague de vestiaire. Un crime, aux yeux de la loi (lire par ailleurs).

Encore fallait-il le savoir. Trouver le courage de parler. « J’ai fait ma vie. Tout affronté. Aujourd’hui, plus rien ne me fait peur. » À 40 ans, Alexandre a déposé plainte au commissariat de Bayonne, le 3 août. Pour viols, attouchements et agressions sexuelles. « Pour retrouver ma dignité. »

Sous l’œil des adultes

En 1999, à 16 ans, la vie est déjà rude. Une mère malade. Un père violent. Un juge aux affaires familiales l’éloigne du domicile d’Anglet. Alexandre lève son sourire bouclier : « J’ai quitté un enfer pour un autre. » Direction l’internat d’un lycée du Pays basque intérieur, en première.

Sa grande carcasse ne dépareille pas, au pied des Pyrénées. Pourtant, l’adolescent peine à trouver sa place. Sa discrétion en fait une cible facile. « J’étais marginalisé, souvent seul. Les autres lycéens m’appelaient le Côtier ou, à cause de mes origines, le Bresque, une contraction de Basque et de Breton. » En 2023, on parlerait de harcèlement scolaire. À l’époque, professeurs et surveillants ne voient pas arriver la pente. Les mots deviennent des tapes sur les fesses. « Je pensais que ça allait s’arrêter tout seul. » Jusqu’à ce soir de février.

Le quadragénaire a dessiné la scène. Des carrés pour les armoires. Des rectangles pour les lits. Au milieu de la chambre, une croix rouge. « C’était à peu près là. » Un camarade de chambrée s’approche par-derrière. « Il a tiré sur l’élastique de mon caleçon et a introduit son doigt. J’ai fait un pas en avant pour qu’il ressorte. Je me souviens d’avoir poussé un énorme soupir de surprise et de douleur. Sidéré. Lui, souriait. Il a dit : « ça s’appelle une olive ». J’ai pensé que c’était grave, sans vraiment comprendre. »

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« Les gens doivent parler »

Quelques semaines plus tard, Alexandre est en cours de sport. Il a les pieds dans les starting-blocks. Un autre lycéen récidive. « Cette fois, je me suis retourné et je l’ai éclaté. Il est tombé de tout son long. » L’adolescent se confie à sa professeure. « Elle n’a rien dit. Aucune réaction. Au moins, comme j’ai réagi, ça s’est arrêté. Dans ma tête, il était clair que j’allais partir. J’ai fait semblant d’être bien jusqu’à la fin de l’année. Et j’ai fui. » Le début de décennies de silence.

Devenu promoteur immobilier en région parisienne, Alexandre traîne la peur de n’être pas écouté. « Je repensais à tout ça deux ou trois fois par an. À 40 ans, j’ai fait le bilan des guerres que je n’avais pas menées. Je me suis demandé ce qu’il se passerait si je recroisais mes violeurs. Est-ce que j’allais attendre de mourir sans rien tenter ? »

Il a cherché. Tout est sur les réseaux. « Ils sont toujours là, tranquilles. » Peut-être ont-ils oublié. Pas lui. « Un jour, ils devront s’expliquer. » Alexandre l’espère. Pour lui et ses deux enfants. « J’ai été victime d’une sorte de mimétisme débile. Malheureusement, je pense que je ne suis pas le seul. Il est hors de question que cela leur arrive. » Des rencontres et la libération de la parole ont achevé de le convaincre d’alerter la justice.

Remonter des pistes

La plainte d’Alexandre a été transférée à la gendarmerie compétente. Les enquêteurs sont toujours en quête des mis en cause et des témoins. Le lycée a été sollicité pour retrouver leurs coordonnées, selon une source proche du dossier. Vingt-trois ans après, établir les faits ne sera pas aisé. Le quadragénaire y croit. « Au moins deux personnes ont vu ou entendu dans la chambre. En cours de sport, nous étions plus nombreux encore. Les gens doivent parler. » Alexandre a sauté le pas. Sans regret.

Son avocat est « honoré » d’avoir été choisi pour le défendre. La policière l’a écouté plus d’une heure et demie. « Et elle m’a cru. » Il n’est pas seul. La médecin légiste de l’hôpital de Bayonne le lui a certifié. « Une femme assez exceptionnelle, elle aussi. » Contacter la presse était l’étape suivante, « pour briser le silence ». C’est un pansement. « Je n’ai rien à gagner. Je ressasse. L’anxiété rejaillit. Mais le silence est plus douloureux que la parole. Il faut le dire : une olive, c’est un viol. »

(1) Le prénom a été modifié et le nom du lycée est volontairement tu pour préserver la victime.

Que dit la loi ?

La loi considère comme viol tout « acte de pénétration sexuelle ou orale commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Les « olives » infligées à Alexandre, des pénétrations anales sans qu’il ne s’y attende, entrent dans ce cadre. Le viol d’un mineur de plus de 15 ans est puni de quinze ans de prison. En 2018, le délai de prescription a été porté à trente ans après la majorité de la victime.
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